Mon corps,
mon cœur, mon âme,
tout
moi-même vous demande une halte
Par Abner Septembre
Chers
acteurs et protagonistes de la crise,
Je vous salue et me permets, en
tant que citoyen, de m’adresser humblement à vous qui mobilisez et manipulez,
de part et d’autre, le peuple. J’ai envie de dire : Abraham dit c’est
assez.
Pourquoi s’obstiner dans des voies
qui conduisent toujours à une impasse ? Le radicalisme des deux bords ? A qui
profite vraiment cette situation de terreur et de chaos que vit le pays, cette
fois-ci depuis 2 semaines environ ? Avez-vous évalué son impact ? Ne vous
êtes-vous jamais demandé quel est le coût social, émotionnel ou psychologique, infrastructurel,
politique, économique, culturel, diplomatique et environnemental de cette
crise ?
De manière plus claire, avez-vous
évalué le nombre de morts par balle, par arrêt cardiaque, par manque de soin ou
par la faim ? Savez-vous combien de
nouveaux cas de gens qui viennent à souffrir de tension artérielle, de sucre et
d’autres maladies causées par le stress ? Avez-vous mesuré l’impact de la
fermeture des écoles durant tout ce temps sur l’avenir des enfants et des
jeunes, sur l’avenir du pays globalement ? Savez-vous combien de bâtiments, de route, de
magasins ou d’installations d’entreprises publiques ou privées qui ont été
incendiés, détruits ou pillés ? Combien de produits des paysans qui sont
gâtés et perdus, alors qu’ils arrivent difficilement à joindre les deux
bouts ? Combien d’arbres qui sont
coupés de manière abusive, aggravant la situation de l’environnement ? Etes-vous
conscients que Port-au-Prince est sale et très sale ? Savez-vous que le secteur touristique vient
de prendre un coup de massue, que nous venons de donner plus d’arguments aux
détracteurs d’Haïti qui ne demandent que çà pour le couler davantage ? Avez-vous regardé des émissions de chaines
internationales de télévision pour comprendre comment on présente et perçoit Haïti :
l’un des pays les plus pauvres et les plus corrompus au monde ?
Vous êtes-vous informés aussi de
la position d’Haïti dans différents classements d’organismes internationaux
accrédités ou influents, en matière de compétitivité économique, de tourisme,
d’environnement, de sécurité, de développement humain, de corruption, etc. Savez-vous
que le revenu en Haïti est l’un des plus inégaux
parmi les pays de la région et que 59 % environ de la population haïtienne
vivent avec 2,41 dollars par jour et plus de 24% avec 1,23 dollars par
jour ? Etes-vous conscients
de la faiblesse de notre système judiciaire, du manque d’eau, du manque d’accès
à la santé et à tant d’autres services essentiels, du manque d’infrastructure
et de moyens de transport, de la sécheresse qui massacre l’agriculture familiale
et tue les animaux des paysans ? Peut-on
faire abstraction de tout cela et continuer calmement dans cette voie ? Est-ce parce que votre lendemain est garanti par
vous-même ou par un patron qui vous dicte votre comportement, en vous donnant
ou en vous promettant des avantages ?
Sans doute vous vous dites que toute
bataille a un coût, entraine des dommages collatéraux. C’est vrai.
Mais, en retour, pour quel résultat pour le pays : le progrès
ou le recul ? Vous demandez au peuple de
brûler même des bâtiments de services qu’il utilise ou que ses enfants
utilisent, alors qu’après la tempête ce sont ces services de proximité qu’il
réclame pendant que vous et vos enfants allez les prendre dans les grands
centres qui existent sur place ou ailleurs.
Tant de dégâts, chers compatriotes, au nom de quelle logique ? Qui
va remplacer les pertes, réparer les dégâts ? N’est-il pas temps de traiter différemment
les contentieux politiques ?
L’opposition, ce n’est pas parce
vous n’avez pas de propositions de solutions, que vous n’en faites pas état
automatiquement quand on vous demande qu’est-ce que vous comptez faire au
départ de l’actuel gouvernement pour améliorer la situation. Est-ce plutôt parce que vous avez peur de ne
pas pouvoir les appliquer, parce que vous n’avez pas les moyens de votre
politique, parce que vous n’avez pas de stratégie pour faire mieux que ceux que
vous voulez chasser du pouvoir. Au vu
de certains faits, on peut même se demander, est-ce que vous luttez vraiment
pour prendre le pouvoir ou tout simplement pour faire la démonstration de votre
capacité de nuisance, afin de mieux négocier soit avec le gouvernement, soit avec
des groupes d’intérêt puissants qui veulent gagner davantage de terrain ou
étendre leur pouvoir d’influence ?
Dans la plupart des cas, après les miettes versées au peuple durant les
phases de mobilisation, ce dernier doit tout de suite se rendre compte qu’il n’a
à boire que la coupe amère de la déception.
Malgré tout, il est forcé de reprendre la lutte à l’appel de leaders qui
distribuent de l’argent. C’est ce qui
sert aussi, malheureusement, d’appât lors des élections, en lieu et place d’un
programme bien charpenté à vendre et des débats soutenus. Peut-être, pensez-vous que ceux qui vont
voter ont faim, ont un faible niveau d’éducation et n’ont pas accès aux moyens
de communication ou ne se nourrissent pas de pensée et d’idéologie.
Le gouvernement est là pour
servir la cité et protéger l’intérêt national. Pourtant, nos dirigeants
montrent une très grande propension à se servir eux-mêmes et à servir les
intérêts de leurs alliés. Ils signent
des contrats avec l’international et des nationaux, qui vont à l’encontre de
l’intérêt national, jusqu’à mettre le pays à genoux, sous tutelle, dans le seul
but de protéger leur pouvoir et privilège. Ce qui donne la contrebande,
l’envahissement de produits étrangers sur le marché national, en concurrence
directe avec les produits locaux. Nous
vivons dans une économie d’importation où les gagnants sont le gouvernement (60 % des recettes de l’Etat), les importateurs
et les pays exportateurs. La production
nationale n’est ni appuyée, ni protégée.
Alors que le crédit commercial avoisine les 60 %, le crédit agricole ne
tourne qu’autour de 1 %. Ce qui conduit à la dépendance et à l’insécurité
alimentaire. A contempler plus près de
nous les dossiers de la CIRH et de pétro-caribe, les dossiers de passation de
marché et les piètres résultats, on ne peut que crier au scandale. Un fossé
géant se crée entre une minorité de nantis qui vit dans l’opulence et la grande
majorité qui vit dans une souffrance intolérable. La classe moyenne s’appauvrit. Les jeunes laissent le pays en masse. Cette politique publique ne peut faire que
des désenchantés, des frustrés et des révoltés à la moindre étincelle.
Le pays se meurt à petit
feu. Le peuple, la principale victime, a
raison de se révolter. Mais, les leaders
politiques et de la société civile ont le devoir de bien gérer ses frustrations
et canaliser ses revendications. Or, ce
n’est pas le cas. Depuis 1987, à la sortie de la dynastie de Duvalier, on est
entré dans un cycle d’événements politiques (manifestations, grèves, émeutes et autres) qui n’ont jusqu’ici pas
apporté le bien-être, ni concrétisé les espoirs soulevés, ni satisfait les
attentes du peuple. Pourtant, il y a des modèles de gestion de
crises politiques comme celles survenues en République dominicaine, en 1994,
entre Balaguer et Pena Gomez, ou encore aux États-Unis dans les cas de Bush -
Algor ou de Trump – Illary. Il y a des
revendications et des manifestations qui se réalisent dans les limites de la
loi. Les institutions prennent le relai
et agissent. Entre-temps, le pays
fonctionne, est stable et progresse. On
pourrait même prendre les cas français avec les Lepen, ou encore les Gilets
jaunes sous l’actuel gouvernement de Macron, voire dans les cas du printemps
arabe. Pourquoi choisissons-nous, nous
autres, de verser dans l’excès contraire ?
N’est-il pas temps de nous dire et de convenir qu’il y a un vrai problème.
C’est ce qu’il faut chercher à définir,
à comprendre, à dénoncer et à éradiquer ou déraciner. En d’autres termes, il faut faire une halte
pour dialoguer, en vue de trouver ensemble, dans le calme et la sérénité, ce
fil d’Ariane qui nous permettra de sortir du labyrinthe. La faim, le dénuement matériel et
l’analphabétisme dans lesquels croupit et est maintenu le peuple pour mieux
l’exploiter (c’est-à-dire le rendre
taillable et corvéable à merci), le refus d’observer ou l’incapacité de
respecter les règles du jeu démocratique par les politiciens, la prise en otage
des institutions républicaines, le pillage et le gaspillage de leurs ressources
par des dirigeants mafieux et sans vergogne, la volonté de tordre les normes
par l’élite d’affaires (financière et commerciale)
pour mieux contrôler les ressources du pays et en jouir sans limite au
détriment de l’intérêt collectif, la complicité de certains pays et acteurs
internationaux avec une élite comprador pour défier l’orgueil national et pour
toujours avoir la main mise sur les atouts du pays, sont les principaux verrous
d’un système macabre et impitoyable qui bloquent le développement et le progrès
du pays.
Chers acteurs et protagonistes de
la crise, si vous pensez que ces aspects font partie du vrai problème, si vous
avez la volonté et le courage politique, je vous invite à faire une pause et à
privilégier le dialogue national pour élaborer un nouveau contrat social. Comme
il est présenté à la page 21 du « Manuel de dialogue national : guide
à l’attention des praticiens », publié en septembre 2017, « Le dialogue national est un processus
politique géré au niveau national. Il vise à générer un consensus au sein d’une
large gamme d’acteurs nationaux en cas de grave crise politique, après un
conflit ou lors d’une transition politique importante ».
Mettons-nous au travail comme des
abeilles, dans l’inclusion et la participation, pour produire du miel, pour
transformer nos faiblesses en forces (« l’union fait la force »), pour éviter d’autres gifles à la
souveraineté nationale et, donc, avoir un État respecté sur le plan
international.
Je vous remercie de votre
attention et vous salue très patriotiquement.
Abner
Septembre, Sociologue
21 février 2019
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