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Le tourisme haitien: constats et propositions aux decideurs


1.       Evolution du tourisme haïtien
Depuis 2013, Haïti est entré dans le classement de l’Organisation Mondiale du Tourisme (OMT), en occupant le dernier rang sur 140 pays. En 2014, il a occupé le 133e rang sur 141 pays.  Toutefois, la participation d’Haïti au tourisme remonte plus haut dans le temps. La première période officielle date de la fin de 1940, avec la création du département du Tourisme par la loi du 13 août 1947 et par l’Exposition internationale du bicentenaire en 1949, sous le gouvernement d’Estimé.  Un cadre a été créé et toute une dynamique déclenchée, qui ont concouru à un essor touristique sans précédent. 

Cette présence touristique s’est poursuivie jusqu’à la fin des années 70, avec des bas et des hauts.  Mais, au tout début de 1980, Haïti a été retiré de la carte du tourisme mondial.  Sous les gouvernements de Préval, le tourisme commençait à intégrer le discours gouvernemental et est même identifié comme un des piliers de croissance dans le Document de stratégie nationale pour la croissance et la réduction de la pauvreté (DSNCRP).  Mais, c’est surtout sous le gouvernement de Martelly, grâce aux efforts menés sur le plan international, qu’Haïti est revenu sur la carte du tourisme mondial.  Plusieurs agences de presse internationales influentes ont donné le ton.  Aujourd’hui, soit 5 ans plus tard, suite aux derniers événements politiques de février 2019, ce sont les gouvernements et les agences des pays émetteurs qui ont mis Haïti sur une liste noire.   Pourquoi cette décision est-elle venue en ce moment de crise ?  

Tant en géopolitique que dans les affaires, les pays et les acteurs n’ont que des intérêts.  De 2011 à 2015, les warnings sur Haïti étaient toujours d’actualité.  Qu'il s'agisse des Etats-Unis, du Canada ou de la France, les avis de voyage invitaient toujours à la prudence, à la vigilance ou à la circonspection.  Mais, il n’y avait pas de mesure extrémiste. Pourquoi  aujourd’hui ?  C’est une question de deal.  Il faut se rappeler que l’État avait un coussin financier qu’il utilisait non seulement pour des services promotionnels, en vue de sensibiliser le public et de vendre une autre image d’Haïti, mais aussi pour faire du lobbying.  Depuis 2 à 3 ans environ, aucun investissement de ce genre ne s’est effectué, vu que les fonds pétro-caribe qui étaient utilisés n’existent plus. La leçon à retenir de cet épisode machiavélique est que, dans les affaires, la passivité, l’immobilisme et le parasitisme (absence de marketing et de lobbying) ne sont pas bons conseillers. 

2.       Poids du tourisme en Haïti et impact réel de cette mesure
En 2015, le secteur ne représente que 3.5 % du PIB, ne crée que 4 169 emplois directs (MTIC) et ne rapporte en 2016 que 504 millions de dollars US (Baromètre OMT, Vol 15, Aout 2017).  Si on regarde de près la situation du tourisme haïtien, dont les derniers chiffres avoisinent 1 million  d’arrivées internationales, on peut se rendre compte très vite que 60 % environ sont des croisiéristes, et le reste est réparti entre 4 catégories : a) une minorité composée de touristes d’agrément, pour les plages et le soleil d’Haïti ; b) une autre minorité composée de touristes d’affaires ; c) une 3e minorité de touristes religieux (des missionnaires) ; d) la 4e catégorie qui inclut des Haïtiens vivant à l’étranger.  Cette mesure qui affole ne touche vraisemblablement que la première catégorie.  Les trois autres vont continuer à venir en Haïti, selon l’objet de leur voyage. 

De par ces chiffres, Haïti n’est pas une puissance mais plutôt un nain touristique.  L’économie du pays ne vit pas vraiment de tourisme.  L’Etude Diagnostic d’Intégration du Commerce (EDIC-Haïti) l’atteste, en faisant le constat de la forte dépendance du tourisme haïtien de facteurs externes et des importations.  Le Code d’investissement le confirme par ses exemptions de taxes au détriment de la production nationale.  Aussi conclut-elle que « contrairement aux autres pays des Caraïbes, l’impact du tourisme sur l’économie et la pauvreté est limité à Haïti ».  De plus, il n’est pas sans intérêt de souligner que ce qui maintient surtout en vie la plupart des hôtels est moins des touristes et davantage des institutions, publiques et privées, qui y vont prendre des services pour des séminaires, des retraites, des colloques ou conférences, etc. 

Bref, que peut-on dire davantage de l’impact de cette mesure sur les opérateurs et l’économie du pays, en l’absence d’information diversifiée et détaillée sur le secteur ? Quand on va, par exemple, au Ministère du Tourisme, il n’y a pas de chiffres sur les opérateurs.  Les maigres informations disponibles ne sont pas à jour et se limitent au port de contrôle (aéroport, port).  Cela se reflète dans les statistiques et rapports de l’OMT.  L’une des difficultés majeures pour évaluer l’impact de la crise sur le tourisme est l’absence de ligne de base, donc de données viables pour tenter des comparaisons objectives et ciblées.  Un sondage peut sortir des données ponctuelles qui sont fortement influencées par l’émotion du moment, que l’on peut caractériser d’effet de vague, et par le jeu d’intérêt particulier qui crée des biais.  Cela ne signifie pas qu’il n’y a pas de perte ou de manque à gagner.  Mais, comment définir le niveau de gravité : faible, moyen ou grave ?  Qui peut l’avouer avec autorité, au risque de se faire coincer par l’administration de preuves irréfutables ?

3.       Causes de la piètre performance du tourisme haïtien
De l’origine à aujourd’hui, le tourisme haïtien a surtout priorisé le tourisme conventionnel qui reste en effet un vrai défi pour Haïti.  Son tourisme n’est pas compétitif, comparativement aux autres pays de la Caraïbe : République Dominicaine, Cuba, Jamaïque, etc.  Les dirigeants ont très peu mis en valeur le grand potentiel compétitif et original d’Haïti.  Il s’agit du patrimoine riche et diversifié qui existe dans  le milieu rural et qui le prédispose à être «des points de chute extraordinaire pour le touriste en quête d’exotisme et de sensationnel».  L’écotourisme, l’agritourisme, le tourisme rural restent donc un maillon très faible, voire presqu’inexistant dans les actions gouvernementales.     

De plus, il y a l’environnement précaire dans lequel évoluent les entreprises touristiques. On peut citer entre autres le coût élevé de l’énergie et de l’eau à assumer par les entrepreneurs eux-mêmes, faute de services publics efficaces ; l’absence d’instrument financier approprié et incitatif dans le secteur, tout au moins accessible aux opérateurs non influents ; le manque de diversification des infrastructures de transport, qui limite les déplacements de la clientèle en temps de trouble ; la faiblesse de l’agriculture et la question foncière ; la qualité de l’environnement physique et la question d’assainissement ; le niveau élevé de taxation qui érode substantiellement les maigres revenus alors que l’État en retour n’offre pas de services, l’insécurité qui défie les activités nocturnes  et limite les déplacements en provinces, etc.  Ce qui tend à attirer vers le bas les entreprises, en termes de qualité, de compétitivité et de rentabilité.

4.       Propositions de quelques mesures à prendre
Face à ces nombreux constats, Haïti doit répondre à ces deux impératifs :
4.1. D’abord, repenser et recadrer son tourisme pour qu’il puisse jouer pleinement son rôle de pilier de croissance et contribuer à un progrès réel dans le pays d’ici 2030. En cela, un dialogue sectoriel national est nécessaire, avec les vrais acteurs, de groupes sociaux et de milieux différents.  Ce dialogue peut se lire comme un effort de rééquilibrer les rapports de force pour faire émerger une communauté d’intérêt et de prospérité.  Ce qui débouchera sur une révision du Plan directeur du Tourisme et une régulation bicéphale du secteur au niveau national, par le ministère et la mairie.  Il s’agit là de mesures stratégiques, dont les bénéfices se feront sentir à moyen et long terme ;
4.2. Deuxièmement, en attendant la relance du tourisme international, le tourisme de l’intérieur parait être une piste porteuse et un pari à faire.  Cela signifie qu’à côté des services institutionnels, qui constituent un marché captif pour une minorité d’opérateurs, il y a un bassin d’environ 3 millions de personnes, soit plus de 25 % de la population actuelle, qui représente un marché potentiel à conquérir et à développer, moyennant qualité des services et compétitivité-prix. C’est là que les opérateurs locaux ont besoin d’un coup de pouce pour créer les conditions faisant du tourisme de l’intérieur la clé de la renaissance du secteur.  Il s’agit là d’un train de mesures à prendre pour renforcer la touristification d’Haïti, dont entre autres :
ü  Création de cadre et d’instrument approprié pour dynamiser la production en Haïti (agriculture, artisanat, culture, loisirs, manufacture), et pour renforcer les infrastructures (transport terrestre, aérien et maritime ; énergie et eau), les deux qui contribueront directement au tourisme tout en créant des emplois et en générant des revenus décents ;
ü  Restauration et assainissement de l’environnement ;
ü  Renforcement de la justice et de la sécurité (protection des biens privés y compris le foncier) ; 
ü  Compromis politique entre les protagonistes, comme cela s’est fait en République dominicaine, et mise sous contrôle des foyers d’insécurité, dans les deux cas pour créer un nouveau climat favorable tant à l’investissement et au bon fonctionnement des institutions, qu’à la libre circulation des gens et des biens ;
ü  Synergie entre opérateurs touristiques de la capitale et des provinces, en milieu urbain et rural, tout en prenant ces mesures spécifiques : i) promotion d’instruments financiers incitatifs pour des projets innovants à fort impact communautaire et de mise en valeur des atouts en milieu rural ; ii) formation ; iii) révision du Code d’investissement ; iv) obligation d’un pourcentage de contenu haïtien substantiel pour que le tourisme soit intégré à l’économie nationale ; v) système d’information de gestion pour la création de ligne de base et la mise en place d’une banque de données; vi) organisation du secteur ; vii) marketing et lobbying un peu aggressif, etc. 

Conclusion
Croyons en notre pays, soyons innovants et travaillons ensemble pour le bénéfice du plus grand nombre. Le tourisme haïtien renaitra de ses racines.  Il puisera dans son terreau fertile les ingrédients particuliers qui lui donneront l’énergie et la force pour rebondir.  Il sera admiré pour sa vivacité et désiré par les voyageurs qui ne demanderont qu’à vivre cette nouvelle expérience.  Il en résultera une redistribution de la richesse, vecteur d’apaisement social, de stabilité politique et de prospérité. 


Alors, un  nouveau départ du tourisme haïtien doit être vu et pensé à travers une logique globale et inclusive.  Cette renaissance ne devrait pas passer en priorité par le retour d’Haïti sur la carte touristique mondiale, mais plutôt par la préparation d’Haïti au tourisme : construire sa touristification et sa compétitivité.  Là, c’est plusieurs chantiers à ouvrir.  Autrement, Haïti reviendra sur la carte pour n’occuper que la queue du peloton.    

Abner Septembre,
Vallue, 4 mars 2019
Abner Septembre est sociologue, entrepreneur hôtelier et touristique, promoteur de produits et d’événements touristiques, développeur et professeur à l’université, membre fondateur et ancien dirigeant de l’Association de Vallue (plus de 32 ans d’existence), fondateur du Centre Banyen pour une Agriculture Intelligente et le Tourisme, ancien coordonnateur du RENAPROTS, bien connu dans le secteur du tourisme alternatif, en particulier dans le tourisme rural communautaire à Vallue.

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