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L’Agritourisme à Vallue : enjeux socioéconomiques et perspectives
Par Abner Septembre, Centre Banyen

L’agritourisme est encore une filière touristique mineure, comparée à d’autres filières du tourisme alternatif comme l’écotourisme, le tourisme rural, le tourisme communautaire ou encore le tourisme solidaire.   Toutefois, ilgagne peu à peu en intérêt et importance dans pas mal de pays, dont certains en ont même fait leur spécialité et ont multiplié les sites d’accueil où les visites affluent.   Aux États-Unis, par exemple, certains estiment que le nombre de fermes qui pratiquent l’agritourisme a quasiment doublé entre 2002 et 2007 (Gil Arroyo et al., 2013), alors que dans d’autres pays comme l’Italie ou le Québec, de nouvelles lois sont formulées pour accompagner le dynamisme de l’agritourisme. En Haïti, cette filière du tourisme alternatif est encore très peu connue, bien qu’elle existe dans les faits.  Des initiatives sont en cours, par exemple, à Fond Jean Noël via la Route du café, au Jardin Botanique des Cayes, ou à Vallue qui en fait l’un de ses maillons touristiques de montagne.  Aujourd’hui, en choisissant l’agritourisme comme thème pour son événement annuel 2019, le Group Croissance aura contribué à une plus grande visibilité de cette filière en Haïti.

1.      Définition de l’agritourisme
L'agritourisme réfère à la mise en valeur touristique d’une exploitation agricole ou plus largement d’une aire agro-écologique.  Il est encore appelé agrotourisme, tourisme lié à l’agriculture ou tourisme à la ferme.  Ces appellations renvoient à deux visions de l’agritourisme.  D’une part, l’une largement dominante selon laquelle l’activité se confine au site du producteur et l’autre, minoritaire, qui l’étend aussi hors du site, en « milieu agricole ».  D’autre part, certains prennent en compte quatre offres agritouristiques sur le site d’accueil : hébergement, restauration, vente de services et vente de produits de l’exploitation (Nathalie Fabry), alors que d’autres considèrent un plus grand éventail d’activités agritouristiques menées par différents acteurs du territoire, en différents lieux (Agnès, François, Anne Marie).En gros, son objet est la découverte des savoir-faire agricoles d'un territoire, et par extension des paysages, des pratiques sociales et des spécialités culinaires découlant de l'agriculture. 

2.      Grands enjeux socioéconomiques
L’agritourisme est un moyen de création de valeur ajoutée en milieu agricole, contribuant à diversifier les sources de revenus.   Comme tel, il peut se révéler un moyen de fixer les populations sur le territoire, et pour les citadins un véritable prétexte pour se rendre à la campagne.  L’agritourisme est aussi un outil de mise en valeur et de préservation tant du patrimoine agricole et gastronomique, que du patrimoine bâti et du paysage d’un territoire. Il peut contribuer à la relance de cultivars en voie de disparition et à la sécurité alimentaire locale. Les événements sont l’occasion pour le touriste de s’imprégner de « l’esprit du lieu », en dégustant les produits locaux et en se montrant curieux de tout ce qui les entoure[1].C’est une activité très prisée pour une clientèle en quête de preuves d’origine.  En résumé, les grands enjeux socioéconomiques de l’agritourisme résident dans son grand potentiel de dynamisation économique d’un territoire, de renforcement des liens sociaux entre les membres de la communauté d’accueil, d’interaction valorisante entre paysan et citadin, de développement durable d’un territoire agricole, et d’échange valorisant entre citadins et exploitants.

3.      Agritourisme à Vallue
3.1.            Localisation et présentation de Vallue
Vallue est une communauté de montagne, localisée à la 12e section de Petit-Goâve.  Elle compte 227 familles pour 1 400 habitants environ.  Elle s’est donné en 1987 son propre outil de développement : l’Association des Paysans de Vallue (APV), une organisation vieille aujourd’hui de plus de 32 ans.  La production principale de la zone est l’agriculture dans sa triple dimension de : production végétale, animale et agroalimentaire.  L’expérience de Vallue comporte aussi un volet d’éducation, d’infrastructure, de maîtrise de l’eau et d’environnement.  C’est tout cela qui forme le cadre de référence du tourisme vallois.

3.2.            Historique du tourisme à Vallue
A Vallue, la dynamique touristique a été initiée officiellement le 16 août 2002.  Le choix de départ était l’écotourisme.  Ensuite, cette dynamique a évolué vers le tourisme rural, puis vers le tourisme rural de montagne pour intégrer le territoire.   Tout cela s’est déroulé sous le leadership de l’Association des Paysans de Vallue (APV), qui a lancé en 2003 la Foire de la Montagne, sa principale activité dans le secteur.

En 2012, l’Hôtel Villa Ban-Yen (HVB) a introduit le tourisme éco-montagne, avec un accent particulier sur la mise en valeur des traditions les plus anciennes de l’hospitalité valloise et sur les valeurs écologiques.  En 2013, HVB a lancé le Festival du tourisme éco-montagne, qui allait devenir en 2017 un événement itinérant d’une communauté à l’autre.  Un autre aspect du tourisme éco-montagne est son effort de recherche de synergie et d’organisation de la filière touristique.  D’où ces 3 dynamiques de : a) réflexion sur la Route de la montagne ; b) promotion de l’agritourisme avec des entreprises agricoles partenaires ; c) réflexion sur une structure fédérative, dite Coordination des Pros de l’Agritourisme de Montagne (CPAM).

3.3.            L’agritourisme à Vallue
C’est un tourisme expérientiel lié à l’agriculture, de proximité et écologique, qui voyage de la perspective du producteur (tourisme au jardin) à celle du touriste (tourisme hors jardin).  L’axe agricole est d’abord une quête et la promotion de réponse alternative ou innovante, plus productive et plus rentable que les jardins traditionnels, en même temps accessible aux paysans.  L’axe touristique est une mise en valeur ajoutée des activités agricoles, en termes de découverte des savoir-faire agricoles du territoire, et par extension des paysages, des pratiques sociales et des spécialités culinaires découlant de l'agriculture.

3.3.a. Les acteurs
Il existe pour le moment à Vallue 3 entreprises offrant des services agritouristiques.  Il s’agit :
·        du Musée Végétal de Zamor, créé en 2012 par Faniel Laurent (un modèle qui lui rapporte à l’année au moins US$ 1250.00/an sur ¾ de carreau de terre, la part touristique étant de 35 %),
·        de La Sève Jardin, mise en place en 2018 par Jean Lindor Laviolette (un modèle qui lui rapporte à l’année au moins US$ 1000.00/an sur ¾ de carreau de terre),
·        du Jardin Labo Solivermont lancé aussi en 2018 par l’Hôtel Villa Ban-Yen, afin de mieux s’impliquer dans cette branche du tourisme qu’il cherche également à structurer et à dynamiser(un modèle qui est à son début sur 1.5 carreau de terre et qui a une triple vocation : l’expérimentation axée sur l’innovation, la formation pour le transfert aux jeunes de nouveaux savoirs et savoir-faire dans le but de multiplier les sites d’accueil, et l’agritourisme à travers Ayitea Garden & Wellness Guesthouse).

3.3.b. Le produit agritouristique
A Vallue, le tourisme au jardin permet au voyageur de découvrir, de vivre la passion du métier, de s’informer sur les plantes, sur les techniques de production, sur la vision et l’intérêt de ces activités pour la communauté en général et les jeunes en particulier.  C’est aussi l’occasion de découvrir de nouvelles saveurs, grâce à la dégustation de certains produits et à la possibilité d’en acheter pour consommation sur place ou pour aller à la maison.  L’agritourisme se vit sur le site d’accueil par des activités de bien-être, telles que : yoga, méditation, bain de feuilles, massage créole, animation, table banyen au jardin, de la fourche à la fourchette, etc.  L’offre inclut également l’accueil scolaire avec participation directe dans des activités éducatives ou pédagogiques (de type ethnobotanique, de compostage, de pépinière, de reproduction par bouturage, marcottage et greffage).


Il existe aussi un volet externe qui inclut les sentiers à thème permettant de découvrir des vues panoramiques, du paysage montagneux de Vallue et les grandes réalisations de l’APV ; des visites de zones spécialisées dans une production donnée de grande valeur et qualité (comme par exemple la mangue corne à Bois Gency ou la manque patout dyòl à Château) ; des visites d’atelier de fabrication de fromage, de yogourt, de confiture, de chocolat, au cours desquelles on fait une session d’information suivie d’une dégustation des produits.  Il s’agit aussi d’équitation, d’observation d’activités agricoles (combite au travail, traire une vache, marché villageois), de visite parfois couronnée par une activité volontaire de plantation d’arbres.  L’offre hors site du producteur inclut, en outre,  des activités de pique-nique animé en pleine nature ou chez une famille au cours duquel des repas traditionnels sont offerts.  Dans certains cas, la consommation est accompagnée d’un rituel qui les replace dans leur contexte.  Les événements, comme la Foire de la Montagne et le Festival du Tourisme Éco-montagne font aussi partie du package.

3.3.c. La clientèle
La clientèle du tourisme à Vallue inclut des écoliers et des étudiants, des familles, des professionnels et des institutions.  A l’année, Vallue accueille au moins 5,000 voyageurs, composés à 80 % d’Haïtiens et le reste d’étrangers.  Sur ce chiffre, le tourisme international (Haïtien et étranger) représente environ 7 %.  Une grosse part du marché est générée par les événements, incluant la fête de la radio communautaire. L’agritourisme représente environ 1/5 ou 20 % de la clientèle et les revenus générés profitent tant aux exploitants de sites agritouristiques qu’à la population comme fournisseurs de produits, comme prestataires de services (hébergement, animation, guidage, équitation, transport) et comme staff.

4.      Perspectives
Il s’agit d’ajouter sur les sites les volets hébergement et agroalimentaire, d’améliorer tant l’organisation interne que le balisage des sentiers à thème.  Il s’agit aussi d’intégrer plus d’entrepreneurs de jardin garde-manger, de les former et de planter des arbres.  Sur le plan financier, l’ambition est de doubler d’ici 5 ans le revenu agritouristique actuel, moyennant une amélioration de la situation politique et de la sécurité.  Les dirigeants à la tête de l’État ont aussi besoin de sortir de leur hypocrisie vis-à-vis de l’agritourisme, donc du milieu rural, en passant de la parole aux actes.

5.      Financement
Pour cela, il faut un produit financier adapté tant au secteur qu’à la réalité de la clientèle.  Ces prémisses étant posées, il s’agit en particulier d’appuyer :
a)       D’une part, de petites entreprises agricoles innovantes, dites jardin garde-manger, portées notamment par les jeunes, à valeur ajoutée sur le plan tant social (par exemple, fixer la population sur son territoire et améliorer qualité de vie), économique et environnemental ;
b)      D’autre part, des exploitations collectives, à capital public-privé-communautaire, dans une logique de remembrement, de restauration et de valorisation du patrimoine agraire, agricole et alimentaire (R3PA3), tout en incluant la diversification dans la chaine de valeur.

Il appartient de financer aussi des mesures d’accompagnement, en termes de maîtrise de l’eau, de formation, de route, de transport, d’hébergement sous forme de gîtes ruraux, de chambres d’hôtes, d’accès au marché.   C’est tout cela qui rendra viable un véritable projet d’agritourisme intégré et durable. 

Vallue a réfléchi sur un cadre innovant appelé « Le Village en FETE », qu’il a déjà proposé au gouvernement, en développant le scénario suivant : chaque année, consacrer environ 10 % du budget 2017 – 2018, soit 200 millions de dollars américains, en vue de financer 100 projets à 2 millions de dollars américains par projet et par zone, soit 100 zones pour 10 départements et 10 zones par département.  Pour cela, l’État fait recours à la passation de marché, en privilégiant l’appel à propositions, via une entité professionnelle non étatique, expérimentée et crédible.  C’est cette entité externe qui aura à sélectionner les meilleures propositions, conformément à des critères de sélection et à une grille d’évaluation définis dans le document d’appel à propositions. 

Les propositions retenues seront financées à travers la circulaire 113 de la BRH, à condition que les organismes financiers intermédiaires respectent les règles du jeu, facilitent un accès rapide aux fonds, observent la plus grande transparence, et s’astreignent au principe de reddition de compte à la population.  L’État peut aussi mettre en place de nouveaux instruments financiers plus flexibles et adaptés tant au secteur qu’à la réalité de la clientèle.  Ce qui mettra le pays en chantier à peu de frais et de manière efficace, permettra de contenir l’exode rural et le déboisement anarchique, donc qui contribuera à un meilleur environnement économique, social et environnemental.

Conclusion
Bien appuyé, l’agritourisme peut se révéler un moyen de fixer les populations sur le territoire, et un véritable prétexte pour les citadins de se rendre à la campagne.  Il peut alors agir comme un vecteur de rapprochement social valorisant entre les deux catégories sociales.  Il peut aussi contribuer à la relance de cultivars en voie de disparition et à la sécurité alimentaire locale.  Les grands enjeux socioéconomiques de l’agritourisme résident donc dans son grand potentiel de dynamisation économique d’un territoire, de renforcement des liens sociaux entre les membres de la communauté d’accueil, de développement durable d’un territoire agricole, etc.  Financer l’agritourisme, c’est faire un choix autant stratégique qu’incontournable pour parvenir à un apaisement social réel et à une stabilité politique durable, tout en réconciliant l’Haïtien avec son territoire. 

Abner Septembre
Sociologue - Entrepreneur
Centre Banyen @ Vallue 23 avril 2019


[1] Le nouvel agritourisme intégré, une tendance du tourisme durable, article de Agnès Durrande-Moreau, François H. Courvoisier et Anne Marie Bocquet


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