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Le paysan, une force à l’affût du kairos
Par Abner Septembre, Sociologue
Si le paysan n’est plus une catégorie sociale majoritaire, il n’a pas pour autant perdu de sa force qui fait de lui plus qu’un nombre mais un esprit.  Le paysan a certes changé d’espace.  Il n’est pas encore un citadin, mais plutôt un paysan dans la ville.  Bloqué par les rideaux de fer du système social, il fait recours aux valeurs de son origine pour subsister et, au besoin, il retourne au village pour se ressourcer.  Il s’active dans l’informel, un instinct qui rappelle autant le marronnage que le syncrétisme religieux pour échapper à la violence physique, économique, psychologique et religieux de son bureau.  Cet instinct de survie est en même temps son aspiration à la liberté, à son autonomie et au bien-être, voire son ambition de protéger ses enfants et de les voir échappés à l’humiliation du système qui l’a maintenu exclu et marginalisé.

Mais, cette dichotomie n’est pas un trait caractériel du paysan.  A l’autre bout, les nababs du pouvoir et de la richesse en Haïti ne sont pour leur part qu’un étranger dans la ville.  Ils gagnent leur richesse en Haïti, mais ils ne sont pas solidaires de ses déboires.  Ils se donnent les moyens pour s’absenter en temps de crise, et ils reviennent quand la situation se calme.  Ils n’investissent pas dans la production agricole et de biens d’équipement qui pourraient profiter au pays, à la classe moyenne et au peuple.  Ils traversent les zones sales et dangereuses dans leurs voitures blindées, respirant à l’intérieur de l’air frais dans la discrétion de leurs vitres fumées, pour se rendre chez eux, à leur bureau ou à l’étranger prendre des services.  Ce comportement égoïste, à la limite obscurantiste, est en symbiose avec leur volonté de garder la grande majorité dans le dénuement et la sous-humanité dans le but de mieux l’exploiter. 

C’est au confluent de ces deux pôles sociaux que se forge le réflexe des membres de la classe moyenne d’origine paysanne.  D’abord, ils rejettent les conditions de la masse et envient celles des nantis.  Mieux vaut voler en compagnie des aigles que de nager avec les canards.  Certains vont tout faire pour y parvenir.  Les déçus du système travestissent leur frustration pour rester en transit dans la ville.  Ils n’attendent que l’occasion pour laisser le pays.  Ils poussent leurs parents à la décapitalisation pour s’enfuir.   Très peu sont restés fidèles au milieu rural, épousent et défendent sa cause.

Le paysan a toujours été là pour l’État qui venait dans le monde rural pour veiller sur ses intérêts.  Il a toujours été là pour les négociants qui achetaient ses produits en fixant à leur gré le prix.  Il a toujours été là pour les candidats lors des élections, faisant des promesses bidon, et qu’il ne reverra pas après.  Il a toujours été là pour les tyrans qui l’avaient fait chercher pour agir au nom de la souveraineté et qui l’avaient lâché ensuite dans la nature sans moyen de retourner chez lui.  Ce qui le transforme en ouvrier, vivant dans un ghetto aux abords des entreprises, puis en maitre-béton et en sbire pour les politiciens.

Dans tous ces cas, le paysan n’a servi que la cause des autres. Il est le grenadier oublié et le damné de la terre. Voici venu pour lui le temps de changer de condition, celui de ne plus être un simple objet d’apparat sur l’échiquier politique de l’électorat, de ne plus aller voter à coups de tafia, de vaccines, de billet et de nourriture. C’est le temps pour lui de se mettre debout pour cultiver le pouvoir, de se donner l’ambition d’être au pouvoir, de s’organiser et de s’inventer son propre leader pour qui il va voter, celui qu’il croit vraiment capable de changer son statut particulier et celui du pays globalement. Mission impossible pour certains, mais pour d’autres rien n’est impossible aux esprits bien préparés et qui vivent à l’affût du kairos (du bon timing).  

Abner Septembre
Vallue, 18 Mars 2019

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