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De l’angoisse de l’eau à la conquête de l’eau à Vallue
Par Abner Septembre, Sociologue

Jacques Romain a écrit « Gouverneur de la rosée », un roman-événement et un chef-d’œuvre dans lequel il a posé le drame de l’eau à Fonds Rouge.  Nous sommes au début des années 40.  Près de 80 ans plus tard, le problème reste d’actualité dans la paysannerie haïtienne.  Au tout début de mars 2019, Cornillon a défrayé la chronique et a même reçu la visite médiatisée du Président de la République.  

Si ce problème n’est pas posé aujourd’hui avec autant de sévérité à Vallue, c’est par contre autour de l’eau que se jouera son avenir, un pari à gagner absolument pour éviter une désertification tant physique qu’humaine.  

L’angoisse de l’eau
Le manque d’eau est un problème que les paysans rencontrent chaque année, à Vallue, en période de sécheresse.  C’est un problème très angoissant, du fait qu’il affecte tout.  L’angoisse de l’eau est celle qui arrive au moment où le paysan a le plus besoin de la pluie pour ses plantes, où ses animaux souffrent de la disette créée par la sécheresse et en meurent, alors qu’en même temps il doit couvrir des distances pour aller chercher de l’eau sans espoir de rentrer à la maison avec son récipient rempli. Ce qui entraine aussi pertes de temps et épuisement physique.

L’angoisse de l’eau est le moment où tout semble annoncer la pluie, par exemple une chute de température, les cris répétitifs des lézards et le coassement des grenouilles, ou encore une chaleur accablante, le temps qui se brouille, avec des nuages noirâtres qui assombrissent le ciel et voilent les montagnes, lesquels qui au lieu de respecter leur promesse d’eau se métamorphosent en vent. L’angoisse de l’eau est un climat de psychose et de réflexion qui enlève le sommeil au paysan, faisant en sorte que le moindre petit bruit venant de la toiture en tôle de sa maison soit vite interprété comme des gouttes de pluie, lui apportant soudainement la joie avant de replonger tout de suite dans l’amertume de son chagrin. 

Bref, l’angoisse de l’eau est cette expression de panique qui se lit sur le visage du paysan, traduisant sa déception et ses limites face au présent ainsi que son appréhension vis-à-vis d’un lendemain incertain, qu’il ne maîtrise pas et qui s’annonce encore plus difficile ou fragile.   Mais, le contraire, la pluie libératrice est une merveille qui guérit et galvanise.  C’est celle qui amène la joie au paysan, fait luire son visage, le fait danser et partir très tôt au champ pour planter et préparer le lendemain.  L’eau, c’est la vie.

Comprendre la cause
Bien que les saisons de pluie soient de plus en plus courtes et caractérisées par des variations interannuelles, il n’y a pas moins de mille (1 000) millimètres de pluie qui tombent à Vallue. Les sources captées n’ont pas de citerne.  Le problème est plutôt la faible maîtrise de l’eau, couplée à la coupe d’arbres qui a un impact direct sur le cycle de pluie, l’infiltration et l’humidité ou la rosée à Vallue qui diminue.

La conquête de l’eau
Rebâtir et revaloriser nos montagnes paraissent être deux solutions pertinentes.  Toutefois, pour réussir, celles-ci dépendent avant tout d’une grande maîtrise de l’eau.  Vallue a des cuvettes naturelles qui, mises ensemble, permettraient de disposer de 100,000 m3 à 150,000 m3 d’eau, soit de 26.4 millions à 39.6 millions de gallons d’eau, moyennant l’utilisation de tapis résistants (pond liners).

Les cinq doigts d’une vision
Vallue dotée d’un grand lac collinaire entouré d’installations de loisirs, de restaurant et d’hébergement, communiquées entre elles par une promenade circulaire le long de laquelle il y a des arbres, des plantes décoratives, des bancs, des poubelles et des parapets de protection sur lesquels on s’appuie pour admirer l’eau et ses poissons, pour suivre les courses en canoës et les défilés de chars allégoriques bien décorés, avec des rois et des reines qui bougent au son trépident de la musique de la montagne. 

Nos montagnes à Vallue redevenues bien couvertes d’arbres, notamment fruitiers, avec par endroits des cultures saisonnières et pérennes très vivaces, quelle que soit la saison, grâce à l’eau qui coulerait et circulerait comme du sang dans les veines de la terre.

Nos champs recelés une abondance de fruits, de légumes et de vivres, assortie d’une diversification dans la chaîne de valeur qui débouche sur une triple sécurité alimentaire, économique et environnementale.

Nos hameaux dotés d’un accès décent et équitable à l’eau dans des bornes fontaines ou kiosques, en quantité suffisante à la fois pour le bain, la lessive, l’abreuvage des animaux, les travaux domestiques, mais aussi à l’eau potable pour une meilleure qualité de vie.

Vallue devenue la Mecque de l’agritourisme de montagne, visitée par de nombreux voyageurs qui goûteront aux délices de ses produits naturels et culturels, grâce à l’amélioration de la route d’accès.

Conclusion
L’eau est stratégique pour l’avenir de Vallue.  Mais, pour réussir ce pari, Vallue a besoin de gens comme Bathol et Manuel, l’un qui plantait des mangues corne à Bois-Gency et l’autre qui cherchait de l’eau à Fonds Rouge.  Elle aura besoin d’une collaboration et d’un investissement mixte public, privé et communautaire.  Ce projet innovant pourra contribuer à créer plus de 2 000 emplois, à restaurer la biodiversité locale, et à faire de Vallue un modèle de développement durable de territoires de montagne à répliquer ailleurs.  C’est ici son plaidoyer pour un appel à manifestation d’intérêt.

Abner Septembre, Sociologue
Fondateur-Directeur du Centre Banyen


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